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La vie/La mort
19 mai 2007

Lettre de suicide ( longue mais sa vaut la peine )

t_ange_deuilChers proches, amis, famille, etc… Je ne pense pas que vous soyez déjà en état de choc en lisant ces lignes; mais je vous préviens que ça ne saurait tarder. C'est étonnant comme, même mort, il est possible d'avoir une influence sur les vivants. Je ne crois pas aux fantômes, que personne ne se méprenne, mais certaines actions que l'on effectue de son vivant affectent quelques autres humains même après sa mort. Qui, en effet, n'a pas été fasciné par un texte de Voltaire, une peinture de Manet ou une invention de Léonard de Vinci? Qui n'a pas retenu son souffle pendant quelques mesures de Mozart? Beaucoup de monde, je sais. Mais certaines personnes, cependant, continuent à admirer ces vieilleries laissées derrière eux par des morts. Et certaines personnes vont jusqu'à admirer longuement des tessons de terre cuite, des outils primitifs, ou même quelques trous dans des parois rocheuses, qui datent de plusieurs millénaires, et qui, probablement, n'ont pas eu à l'époque l'importance qu'on leur prête maintenant. Ils étaient simplement utiles. Ma mort en elle-même n'aura pas ce retentissement, je ne me fais aucune illusion là-dessus: je n'aurai pas droit à des funérailles pharaoniques qui pourraient m'assurer la postérité; je serai sans doute simplement brûlé. Une partie de mes cendres sera conservée quelques temps dans une boîte noire pourvue d'une plaquette dorée sur laquelle figureront mon nom, mon prénom, et mes dates de naissance et de mort. Après quelques temps, on se débarrassera de cette relique comme d'un mauvais souvenir. L'autre partie aura peut-être droit à un destin plus glorieux: elle sera mélangée aux restes d'autres individus, puis l'ensemble sera pourra être incorporé à de la nourriture pour chiens, épandu sur un champ pour le fertiliser; il y a aussi le risque que les cendres de toutes ces personnes n'aient pas la possibilité d'être utiles, et qu'on attende qu'elles moisissent en les entreposant bêtement. J'ai appris, au cours de mon existence, que la première phase du deuil, que ce soit celui d'un projet, d'un proche ou d'un rêve ou de sa propre existence, est le déni: ce n'est pas possible. Rien n'est arrivé. Ça va passer. Je vais me réveiller. Eh bien, allez-y, réveillez-vous, ouvrez les yeux, et affrontez la réalité: je suis mort. Je sais que vous êtes choqués; en lisant ces lignes vous essayez de digérer l'information, tout en vous efforçant de l'ignorer. Vous êtes ambigus avec vous-même, et ceci vous permet de supporter le choc. Mais bientôt, l'information va arriver à un stade supérieur, s'épanouir, elle heurtera votre conscience de plein fouet, et l'inévitable arrivera: vous allez vous mettre à pleurer, à hoqueter bruyamment, à vous moucher, et à vous infliger différents menus sévices corporels; il se pourrait que lors de cette opération cette lettre soit tachée; aussi je vous invite à cesser la lecture, momentanément en tout cas, jusqu'à ce que vous vous sentiez mieux. Et, en attendant, pour les amateurs de sensations fortes, vous pouvez chercher mon corps. À bientôt, donc, et ne vous laissez pas abattre, ne soyez pas trop tristes, je n'aime pas ça. Je ne suis pas un sadique. -- Voilà, vous vous sentez mieux, vous avez pleuré ce que vous deviez, et vous avez accumulé l'énergie nécessaire pour finir cette lettre. C'est très bien. J'imagine qu'à ce stade, la question qui occupe votre esprit est "pourquoi"? Si c'est le cas, je vous félicite, c'est une excellente question, elle est à la fois pertinente et intéressante; cependant, comme la mort nous sépare et vous empêche d'exercer une pression sur moi, je profite pour prendre mon temps, créer le suspense, vous garder haletant devant un bout de papier, à la recherche d'un sens. Au pire pourriez-vous être tentés de tricher; mais je sens que votre conscience ne le permettra pas: ce serait un manque de respect à l'égard d'un mort, une manière de profaner ma mémoire. Et, de plus, cette lettre est pour vous comme un roman policier: si vous connaissez le coupable et ses motifs avant l'heure, il perd tout son sel; et vous pourriez vous rendre compte de toutes les inepties que je raconte pour occuper du temps et vous faire attendre, alors que, si vous n'aviez pas triché, vous auriez passé tout droit. Comme il y a de fins limiers parmi vous, qui ont le cerveau rapide comme l'antilope dans les plaines arides, et bien qu'en cet instant de stress l'antilope ait tendance à ressembler à un éléphant, car la tension semble souvent transformer le cerveau en flan caramel, je pense qu'ils auront repéré qu'outre le fait que je suis mort certains éléments laissent à croire que vous êtes confrontés à un cas de suicide. Bravo à ceux-là, qui ont émis une supposition si raisonnable! Ils ont maintenant le droit d'indiquer sur leur curriculum vitae et sur leur lettres de motivation qu'ils ont la capacité de bien gérer le stress et de penser clairement dans les situations les plus imprévues. J'espère que cette découverte leur apportera la carrière professionnelle qu'ils attendaient.

Mais, maintenant que vous avez pris connaissance du fait que je me suis suicidé, vous vous demandez encore une fois: "pourquoi?" Vous êtes obstinés, je trouve, vous pourriez être plus patients. Enfin… au moins, c'est une garantie du fait que vous allez être très attentifs, et suivre mes explications avec toute la concentration que vous pourrez mobiliser. Si vous ne vous sentez pas aptes à déployer toutes vos facultés, il serait d'ailleurs préférable d'aller vous reposer, respirer l'air frais et lubrifier vos neurones. Revenez quand vous serez prêts. Maintenant, les seules personnes autorisées à lire les paragraphes suivants ont accepté ma mort, ne pleurent plus, et sont en conditions optimales pour lire et enregistrer toutes les informations qu'elles souhaitent. C'est fort bien.

Ceci acquis, je peux me lancer dans la présentation des faits. Quand je suis né, comme tous les bébés, je n'étais qu'innocence: je ne pensais qu'à monopoliser toutes les attentions et à manger quand j'avais faim. C'était l'âge d'or de mon existence, bien qu'assez tôt on m'ait inoculé un sentiment de frustration: le monde ne se contentait pas de tourner autour de mes bourrelets de graisse, mais prenait des libertés que je ne pouvais pas tolérer. J'ai donc pleuré, j'ai émis de fortes pressions contre les oreilles de mon entourage, mais il a fallu que j'apprenne peu à peu que j'étais trop petit pour prendre des décisions: on se chargeait de penser à ma place. C'était vraiment injuste, je suis sûr que vous le pensez aussi, d'ailleurs. Il a fallu que l'on m'inculque des notions de savoir-vivre, d'hygiène, de conduite, plein de leçons dont je ne voyais pas l'utilité, qui me tiraient de ma vie de pacha et qui me demandaient de vivre en communauté. C'est difficile d'intégrer tous ces concepts, surtout quand on les trouve inutiles, mais les punitions diverses me motivaient à suive la route qui m'était tracée. Cependant, quand je me suis retrouvé en compagnie d'individus de mon âge, je les ai trouvés bruyants, mal élevés, sans aucun respect pour ma personne, et ils rendaient les coups. La vie en société me semblait dès lors compromise, si ce n'est impossible: les règles n'avaient pas de sens, il était toujours plus facile de les transgresser que de les suivre, de mentir que de dire la vérité, car toutes ces petites tricheries apportent plus de bien-être et des gratifications que l'honnêteté, la probité et la bonté. Vous admettrez avec moi, j'en suis certain, que le monde est mal fait. Pour s'en protéger, il m'a fallu trouver quelques humains qui comprennent mes problèmes et m'aident à casser la gueule à tous les imbéciles qui me pourrissaient la vie. C'est ce qu'on appelle des amis. Après de nombreuses années, on a pris la peine de m'expliquer que toutes les règles que je faisais semblant d'appliquer, sauf quand ça m'ennuyait, c'est-à-dire souvent, surtout quand personne ne regardait et n'aurait pu me réprimander, servaient précisément à vivre harmonieusement en société. À voir le résultat, j'ai été pris de doutes: la société que je voyais était contrôlée par un système basé non pas sur la confiance, la loyauté et tous ces concepts ennuyeux, mais sur la contrainte, la tromperie, le mensonge habile, et je me rendais compte, en regardant le monde qui m'entourait, que les seuls à appliquer scrupuleusement ces lois étaient ce qu'on appelle des pigeons, c'est-à-dire des gens qu'on cultive, qu'on mange, qu'on digère et qui finissent toujours dans la merde. Mais je ne vous apprends rien: vous vous êtes aussi rendus compte, je n'en doute pas, de tout ce que je viens de raconter.

Jusque là, ma présentation n'a servi qu'à faire croître le suspense, comme vous l'avez sûrement remarqué. Je me suis adapté aux conditions de vie qu'on me proposait; mais je me suis rendu compte qu'il y aurait toujours plus rusé, plus habile et moins scrupuleux que moi. Ironie, j'avais trop bien intégré ces règles auxquelles je ne croyais plus, et je me retrouvais, malgré toute l'horreur que cela m'inspirait, plus proche du camp des pigeons que des puissants. J'ai étudié leur stratégie de survie: ceux qui s'en sortaient le mieux croyaient en une entité appelée "Dieu", maître de leur destin, et dispensateur de tous les bienfaits après leur mort. J'ai rapidement constaté que ce fameux Dieu s'apparentait assez aux mensonges de ceux qui détiennent le pouvoir, un mensonge habile, qui laisse de l'espoir et qui donne envie de croire en lui et de vivre sans se poser de questions. Un bon coussin pour tous les problèmes, et j'ai été tenté de l'utiliser; mais il me restait d'autres questions et j'aurais bien aimé y répondre de manière empirique plutôt que dogmatique. Je me suis dit, dès lors, que ma démarche était celle d'un philosophe, et qu'en conséquence, beaucoup avaient parcouru les mêmes routes que moi, et avaient dû découvrir nombre de choses passionnantes. J'ai donc ouvert quelques livres, et je me suis rendu compte que plus la philosophie avançait et plus on se rendait compte qu'on ne savait rien, que les seules choses que l'on pouvait savoir avec une certitude relative n'avaient aucun intérêt, alors que tout permettait de dire que les questions fondamentales resteraient sans réponse. J'avais fait le tour du problème: la vie n'a que le sens que l'on désire. Il me fallait donc, selon mes réflexions, que je trouve le sens de la mienne. J'ai rapidement renoncé à être utile: c'est une attitude digne des pigeons, on ne peut jamais avoir la certitude d'être utile, à moins d'avoir les yeux bandés. Soigner quelqu'un lui fait perdre la maladie qui lui rendait la vie facile, le rassurer lui fait se sentir misérable et redevable, l'aider à s'accepter guéri le remet en question, et, d'une certaine façon, il aurait préféré rester malade. Faire l'aumône est un moyen cruel d'abaisser l'autre et de se conforter dans le rôle de puissant, qui permet d'oublier l'esclavage que l'on subit soi-même. Non, vouloir être utile à tout prix est stupide. Que me restait-il? J'ai mis du temps à le trouver, et il m'a fallu toute ma rage, toute les petites souffrances accumulées au cours du temps et toute la haine qui les accompagnait, tout ce qu'on m'avait forcé à croire et qui me répugnait, toutes les horreurs que j'ai faites et qui ont hanté mes nuits, toutes les bassesses auxquelles j'ai assisté et que je n'ai jamais eu le courage de relever, tout ce qui fait que la vie humaine est un enfer et pas un paradis, tout ce qui me poussait à ne plus penser, j'ai tout réuni, je suis devenu un être hanté par la vie, et, plutôt que de le noyer dans la drogue, qui est un palliatif plutôt qu'un baume, je l'ai assumé, je l'ai dit, et je suis devenu cynique à propos de la vie. Tout ne m'insvicto27pirait dès lors que des pointes d'humour et des crises de rire jaune. Et j'étais heureux d'avoir trouvé que faire de ma vie. Alors, vous demandez-vous, pourquoi? On ne se suicide pas quand on a trouvé un sens à sa vie… 

Réfléchissez un peu, allez-y, faites un effort, je sais que vous pouvez y arriver, il suffit de vous appliquer. … Vous ne trouvez pas? Je vais vous expliquer, alors, et lentement, pour ne pas devoir me répéter. Je ne me suis pas suicidé par tristesse, n'allez pas croire une chose pareille, ni par résignation, ni par désespoir, ni parce que l'avenir n'a rien à m'offrir de meilleur; j'ai décidé de mettre fin à mes jours, comme on dit lorsqu'on ne veut choquer personne avec des mots aussi choquants que suicide ou mort, parce que je méprise ce que je vis, ce qui m'entoure, ma vie, moi-même, ma manière de vivre aussi. Et je vous méprise, d'ailleurs, parce que vous avez pleuré ma mort bien que vous sachiez très bien qu'elle n'a pas d'importance réelle pour vous, si ce n'est remettre en question votre vie, votre sécurité, votre confiance; et je vous méprise aussi, soit dit en passant, parce que certains d'entre vous ont triché, ont sauté des lignes alors que je ne l'avais pas permis, et ont par là abusé de mon impuissance. C'est très mal. Mais ça m'est complètement égal. Maintenant que vous savez tout, je vous laisse le soin d'inventer une version qui soit racontable, car je crains que la mienne ne soit connue que par ceux qui étaient mes "proches", et que cette lettre leur brûle déjà les doigts. Et, vous pouvez vous rassurer sur un point: vous êtes toujours humain, vous pleurez vos morts, vous faites preuve de sensibilité. Je n'en attendais pas moins de vous. Vous êtes même tellement à fond dans votre rôle que vous avez intégré toute l'hypocrisie nécessaire.

Ce matin, je me suis organisé avec soin. Je suis quelqu'un de méticuleux. J'ai commencé par faire de l'ordre dans ma tête, je me suis posé la question une dernière fois, j'ai pesé le pour et le contre. J'étais décidé. Bien que ce soit la solution la plus lâche, le suicide me convenait bien. Il réglait mes problèmes, bouclait mes comptes, mettait un terme à tout ce que je faisais et que je ne pouvais m'empêcher de rater. J'ai fait une liste de commissions, qui me permettra de cuisiner un filet mignon de porc cuit dans une croûte d'épices, un de mes plats préférés, avec des pâtes et des carottes cuites à l'eau et une bonne bouteille de vin. Et une boîte d'antidouleurs. J'ai estimé à combien l'ensemble me reviendrait; c'était trop cher pour ce qui me restait: ma carte bancaire était bloquée depuis un bon mois, il me restait, en cherchant bien, de quoi payer les médicaments. Il fallait donc un chèque pour le reste, qu'ils ne contrôlent pas tout de suite. Je ne voulais pas compter uniquement sur le hasard. J'ai sorti des pantalons noirs d'un tiroir bancal, une chemise jaune d'un sac de l'assistance sociale, et j'ai accroché à la poche gauche, à la hauteur du coeur, l'étiquette que j'avais reçue quand je travaillais encore le week-end. On ne me l'a pas reprise quand on m'a viré. C'était sans doute un oubli. On ne fait pas de cadeau, même aussi ridicule et humiliant, aux employés que l'on jette. Je reçois toujours leurs publicités, elles me servent à récolter les épluchures de légumes. Ce n'est pas du mépris, je me contente d'utiliser ce qu'on me laisse comme on m'a utilisé. Je vais arrêter de critiquer la société de consommation: personne ne veut en entendre parler. J'ai accroché l'étiquette portant mon nom et mon prénom à la poche gauche de ma chemise, je me suis transformé en employé qui, une fois sa journée de travail finie, fait les commissions avant de rentrer chez lui. J'ai commencé par acheter les antidouleurs, que j'ai payés avec mes derniers billets, puis je suis allé chez Carrefour. J'ai donné mon chèque à la caisse, mais, comme mon identité de chômeur était recouverte par l'uniforme du caissier de grands magasins, je n'ai pas eu de contrôle. Heureusement. S'ils avaient vu l'état de mon compte, un cordon de sécurité m'aurait empêché de m'enfuir, j'aurais dû me coucher et croiser les mains sur la nuque, pour édifier tous ceux qui auraient été tentés de tromper l'entreprise qui offre à ses employés de mourir de faim dans une tenue rouge et verte du plus bel effet. Mais je m'emporte une fois de plus, j'utilise des lieux communs qui feraient frémir tout lecteur consciencieux, qui préférera dès lors fermer les yeux sur ces fautes de style et d'idée, et qui, en général, préfère fermer les yeux. J'ai payé avec mon chèque non approvisionné, je suis rentré chez moi en profitant du dernier jour où des cataractes de pluie relativement acide me coulera dans le dos, pendant que quelques éditeurs décideront, au chaud dans un immeuble neuf, devant un café, quel scribouillard obscur gagnera le jackpot de la célébrité. Ils ont l'air concentré. C'est une mesure d'exception, soigneusement répartie entre les différentes maisons, tout comme ils répartissent les prix littéraires, pour que les risques, année après année, soient équilibrés par les gains. Et, de temps en temps, ils planifient la débâcle de leurs concurrents, plus petits, plus audacieux peut-être, mais trop révolutionnaires. Pour un suicide, la pluie semblait le temps le plus adapté. Une dernière fois, le monde vomira sur moi; et ça ne se fait pas de mourir éclairé par le soleil printanier parce que la vie dégoûte. Il ne manquait que les nappes de brouillard, mais je n'ai pas envie d'attendre, d'autant plus que le phénomène est très rare. Et les gaz d'échappement peuvent faire illusion. Je suis rentré chez moi, j'ai mis un tablier, fait chauffer le four, mélangé les épices, ajouté de la farine et appliqué sur la viande, et j'ai mis à cuire. Deux casseroles d'eau chauffaient pendant que je pelais et coupais les carottes; je les ai ajoutées dans la petite, quand l'eau a commencé à y bouillir, puis j'ai attendu que l'autre finisse de chauffer pour y préparer les pâtes. J'ai posé une assiette, un couteau, une fourchette et un verre à vin sur la table, j'ai débouché la bouteille de vin et je l'ai dégusté en prenant l'air d'un expert. Les pâtes étaient prêtres, je les ai versées dans une passoire, puis je les ai remises dans leur casserole. J'ai fait la même chose avec les carottes, j'ai sorti la viande du four et je l'ai coupée avec soin. Je me suis assis, j'ai souhaité bon appétit à la ronde, j'ai mangé, copieusement, en me félicitant d'avoir pu payer ma facture de gaz, et en regrettant de ne plus avoir de chaîne stéréo, ni d'électricité d'ailleurs. J'aurais volontiers écouté le requiem en mangeant. Pour compenser, je l'ai chanté mentalement, mais l'ampleur manquait. Je suis sorti de table repu et joyeux: il ne restait plus que quelques pâtes dans la casserole. J'ai lavé le couteau de cuisine, je l'ai aiguisé, j'ai coulé un bain, je me suis déshabillé, j'ai pris le reste de monnaie et je l'ai lancé dans l'eau, puis je me suis assis dessus. J'ai absorbé trois pilules d'antidouleur, je me suis lavé les cheveux, puis j'ai pris le couteau de cuisine, que j'avais posé à côté du savon et des médicaments, j'ai planté la pointe dans mon poignet gauche, et j'ai creusé un sillon rectiligne, consciencieusement, puis un autre, parallèle et deux perpendiculaires, jusqu'à ce que le sang coule avec un bon débit. Je suis passé au droit_lamerasoirt, qui m'a posé plus de difficultés: la douleur ne m'aidait pas à utiliser ma main gauche, avec laquelle je ne suis de toute manière pas habile. Quand les deux poignets m'ont convenu, j'ai posé le couteau sur le rebord de la baignoire, j'ai glissé mes mains dans l'eau et regardé la propagation de la couleur. Elle suivait des courants invisibles et formait des arabesques. Je n'avais pas vraiment mal. J'étais rassuré. Mon imagination m'avait fait craindre le pire. Plus l'eau se teintait de rouge, plus ma vue est devenue floue et mes pensées incohérentes; puis des taches de couleur vives sont apparues, et ma tête semblait affreusement lourde. Par chance, la baignoire était trop petite pour que je puisse glisser et me noyer. Mon cadavre ne sera pas bleu. Je me suis évanoui. Le sang continuait à couler, et je suis mort doucement, dans un soupir imperceptible. Maintenant, personne ne peut se plaindre de l'incohérence de mon système d'énonciation.

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